Contes et mythes bercent l’humanité depuis des millénaires, nourrissant nos imaginaires de créatures mythiques, de sortilèges et de quêtes épiques. Pourtant,
ce n’est qu’au 19e siècle que naît vraiment le genre de la fantasy tel qu’on le connaît aujourd’hui. Des auteurs britanniques comme George MacDonald lui offre ses premiers récits, puisant dans le folklore et les récits merveilleux pour créer des histoires où l’irréel est roi. Face à une littérature “sérieuse” concentrée sur le réalisme, la fantasy choisit donc un autre chemin : celui de la magie, des créatures étranges et des mondes lointains. L’objectif ? L’émerveillement et l’étrange, pas la crainte – contrairement à son cousin, le fantastique, utilisant l’extraordinaire pour stimuler un sentiment d’inconfort. Longtemps portée par de jeunes héros (ou héroïnes !) partant à l’aventure et affrontant le Mal, la fantasy voit ses personnages grandir et évoluer, dans l’esprit des quêtes initiatiques.
Mais parce qu’elle se pare d’une ambiance de conte et d’imaginaire, la fantasy s’est vue cataloguée comme “littérature pour enfants” ou “sous-littérature”. Tolkien, le grand maître du genre, a écrit Bilbo le Hobbit pour que l’histoire soit lue aux enfants. Mais son Seigneur des Anneaux, lui, a pris son envol pour le royaume adulte, devenant un monument de la littérature, avec son univers foisonnant et ses récits épiques qui ont marqué des générations.
Des voix nouvelles, de nouvelles pistes
Le genre a d’abord été dominé par des figures masculines et des quêtes héroïques plutôt classiques. Puis, dans les années 60, Ursula K. Le Guin entre en scène et bouscule les codes avec Terremer. Elle se détache du manichéisme binaire contre le Mal pour laisser la place à une quête plus intime, plus humaine. Dans un monde inspiré de l’âge du bronze, elle mêle féminisme, taoïsme et anthropologie, et redonne à la fantasy un nouveau souffle, de nouveaux courants à explorer. Aujourd’hui, un prix littéraire anglophone récompensant la créativité des œuvres porte le nom d’Ursula K. Le Guin.
Quelques décennies plus tard, dans les années 90, George R.R. Martin s’agace des gentils héros et des happy ends dominant le genre, trop “Disney” à son goût. Il secoue la fantasy avec Game of Thrones, une saga brutale et politique inspirée des guerres anglaises du 15e siècle. Adieu fantasy merveilleuse, bonjour dark fantasy, bientôt suivi par le maître de grim-dark, Joe Abercrombie, jouant d’humour noir et de moralité douteuse pour créer des récits bien loin du merveilleux optimiste jusque là très présent.
Pendant ce temps, Terry Pratchett et Neil Gaiman décident de s’amuser un peu : leur roman De Bons Présages nous offre un ange (un peu trop crispé) et un démon (un peu trop humain) qui tentent, tant bien que mal, de saboter l’Apocalypse. Humour british, satire mordante et ambiance apocalyptico-déjantée au rendez-vous, sans oublier un courant caché de critique sociale.
Enfin, Robin Hobb, elle, nous raconte l’histoire de Fitz dans Assassin Royal, un enfant illégitime devenu assassin. Pas de grandes batailles, mais une exploration fine et touchante d’un destin personnel, bien loin des héros guerriers en quête d’aventure, épée à la main.
La fantasy s’ouvre encore à de nouveaux horizons
Grâce au succès mondial des adaptations de Game of Thrones, Le Seigneur des Anneaux et Good Omens, la fantasy entre enfin dans la cour des grands. Ce qui était autrefois vu comme un sous culture geek devient un pilier de la culture pop.
Les années 2000/2010 signent l’arrivée d’un vent nouveau : plus de femmes, plus de diversité, plus de récits inattendus. Naomi Novik revisite les contes d’Europe de l’Est avec Déracinée, où une héroïne intrépide, un peu maladroite mais débrouillarde, défie les clichés. Leigh Bardugo, quant à elle, abandonne les châteaux médiévaux pour un monde industriel sombre inspiré de Rotterdam au XIXe siècle, où un gang d’ados (dont des personnages queer ou porteurs de handicap) prépare un casse audacieux. Un mélange explosif et rafraîchissant, adapté aux adolescents comme aux adultes.
Aujourd’hui, la fantasy n’hésite plus à flirter avec d’autres genres. Alain Damasio, avec La Horde du Contrevent, nous propulse dans un monde où le vent façonne tout. Un récit exigeant, poétique, presque scientifique… mais toujours ancré dans l’imaginaire, permettant de débattre de la frontière entre les genres de la fantasy et de la science-fiction. Erin Morgenstern, elle, tisse La Mer sans Étoiles, un conte moderne et onirique, entre portes magiques, bibliothèques oubliées et symbolisme mystérieux. Ses personnages, adultes, embrassent la diversité retrouvée de la fantasy.
En résumé ?
Longtemps reléguée au rang de littérature “pour enfants” ou “de niche”, la fantasy a conquis ses lettres de noblesse. Aujourd’hui, elle est multiple, foisonnante, inclusive, pleine de couleurs et d’audace. Elle offre un terrain de jeu idéal pour explorer nos sociétés, nos peurs, nos rêves et nos espoirs, tout en nous permettant de voyager loin, aux confins de notre imagination.
Car après tout… qui a dit que s’évader n’était pas sérieux ?
Voici la sélection du Club des lecteurs du 12 avril, c'était le dernier de l'année. Le public n'étant pas au rendez-vous, il n'est pas certain que cette expérience entre les lecteurs et les bibliothécaires reprenne à la rentrée de septembre. À suivre...